Dans le premier chapitre, Sonenscher remonte à la source de l’expression sans-culotte il révèle ainsi qu’elle a été utilisée bien avant la Révolution (p.58) pour désigner les auteurs sans patron. C’est une moquerie insérée par James Rutledge dans sa comédie Le bureau de l’esprit, qui l’a mis en partie sur la piste. En effet, l’auteur y raille l’habitude de Mme Geoffrin tenant un salon littéraire, d’offrir en guise d’étrennes à ses auteurs une paire de culottes de velours. Cette moquerie est analysée sous son aspect grivois, mais aussi sociétal, et philosophique. Le chapitre suivant est une réflexion sur la construction de l’image de la société du XVIIIe siècle, qui prend en compte la querelle du luxe. Sonenscher montre alors comment le débat opposant Diogène et Platon se trouve réinvesti au XVIIIe, notamment grâce à la figure de Rousseau. Plus qu’une simple réflexion sur la querelle du luxe, il s’agit d’une vraie interrogation sur la véritable indépendance du sans-culotte : qui, du cynique ou du philosophe qui accepte les règles de la société, est le plus indépendant ? Tout naturellement dans le chapitre suivant Sonenscher retrace les différentes théories relatives aux questions de la propriété, de l’égalité et des passions au XVIIIe siècle. Il s’agit d’un chapitre foisonnant, mêlant des références aux textes Anglo-Saxons et Français tout en mettant en lumière la naissance et le développement de la physiocratie. Le chapitre suivant, intitulé le « droit au mérite », aborde la Révolution française en insistant plus particulièrement sur le débat entre Brissot et Robespierre à partir d’un discours de ce dernier datant du 10 avril 1793. Sonenscher confronte deux retranscriptions contradictoires du discours. Dans la version donnée par Robespierre dans la Lettre à ses commettants, il présente Brissot comme cachant ses vues sous le masque de la modération et protégeant les riches contre les « sans-culottes ». Alors que, dans la version donnée par Le Logotachigraphe c’est l’exact opposé qui est écrit. Robespierre y reproche à Brissot d’être le protecteur des sans-culottes contre les riches. Sonenscher voit dans cette deuxième interprétation l’indice expliquant comment l’expression est passée d’une moquerie sur la société de salon à un emblème de vertu. Il retrace alors ses différents usages depuis la prise de la Bastille jusqu’à la définition donnée par Gorsas dans Mais ! … qu’est-ce qu’un sans-culotte. En conclusion, il traite principalement des rapports entre démocratie et terreur montrant l’évolution du sens de sans-culotte durant la Révolution, mais surtout insistant sur les différentes théories politiques qui ont été débattues pendant la période jusqu’à leur oubli sous le Directoire.

L’un des points les plus intéressants du livre de Sonenscher est sans doute cet éclairage qu’il donne sur le sens de la sans-culotterie. Qu’il s’agisse de la moquerie de Rutledge, ou de l’indignation dont témoigne Linguet se trouvant forcé de sortir de la Bastille sans culotte (p.11), ces différents exemples viennent rappeler au lecteur la force de ce symbole révolutionnaire. Une force qui ne saurait se résumer à une simple tenue distinctive, et qui repose sur les principes essentiels de la Révolution. Cette étude vient donc compléter de manière intéressante celle d’Annie Geffroy parue dans le Dictionnaire des Usages Socio-Politiques (1770-1815) (2). En effet, le large développement de Sonenscher sur ce thème permet au lecteur de redécouvrir la grivoiserie de l’expression, mais aussi toutes ses significations. Le sans-culotte, auteur sans patron qui refuse de se vendre, devient donc l’homme libre révolutionnaire, revendiquant certes sa liberté mais aussi la nécessaire égalité de droits entre les citoyens. Par ailleurs, les analyses des différentes théories politiques ou économiques du XVIIIe, insérées dans le récit, viennent ainsi permettre au lecteur non seulement de comprendre la signification du symbole mais aussi son historicité. En outre, les deux premiers chapitres du livre s’intéressant au sans-culotte et plus exactement aux « culottes » dans les salons, sont non seulement passionnant mais drôles. Il est ainsi stupéfiant de voir se créer des ponts entre les époques par le jeu des références de ces milieux cultivés. En guise d’exemple, on peut citer la culotte de velours renvoyant à l’anecdote racontant Diogène souillant avec plaisir le tapis de velours de Platon.

Cependant, le livre de Sonenscher est dense, et il semble qu’une lecture ne suffise pas, tant les sujets traités sont variés et complexes. Ainsi, par exemple les longs développements expliquant la pensée de Rousseau emportent le lecteur bien loin du sujet et rendent la lecture difficile.

Par ailleurs, les chapitres 4 et 5 démontrant la longue tradition de réflexion sur le concept de la propriété tout en étant fort intéressant, semblent parfois un peu léger. En effet, Sonenscher, éclairant les rapports entre propriété et passion, démontre au lecteur la lignée d’influences existant entre la pensée de Fénelon et les théories physiocrates en passant longuement par les textes de Rousseau. Il explique alors comment la physiocratie est héritière d’une tradition de théorie Etatique. Cherchant à refonder la société, les physiocrates voulaient permettre un enrichissement plus grand et plus large fondé sur le commerce des produits agricoles. Tout en soulignant l’échec de la physiocratie, appliquée sous le ministère Turgot en 1776, Sonenscher insiste sur l’influence de cette théorie sur les penseurs de la Révolution française (Bailly, Brissot, Garat). Il est cependant surprenant, que compte tenu de la précision dont Sonenscher fait preuve, il ne soit pas fait mention à ce stade de la réflexion des théories opposées à la Physiocratie. En effet, le texte de Mably, Du commerce des grains (3) dans lequel, les physiocrates représentés sous le personnage d’Eudoxe (bonne doctrine) sont tournés en ridicule, est emblématique sur le sujet. Ainsi, dans ce chapitre, la théorie physiocratique est privée de son contre-point, pourtant essentiel, pour comprendre le débat de l’époque. Mably s’y insurge contre le manque de considérations qu’affichent les physiocrates pour le sort des classes les plus pauvres de la société, qui se trouvent exclues du partage. Il apparaît d’autant plus regrettable que Sonenscher minimise la portée de ce courant de contestation, car ce texte a influencé de nombreux leaders du mouvement sans-culotte, en particulier Robespierre. A cela s’ajoute ce choix surprenant, au chapitre 5, de donner crédit à la retranscription du discours de Robespierre par le Logotachigraphe. Sonenscher ne s’explique que très rapidement, pourtant cette interprétation va à l’encontre du sens généralement donné aux discours de Robespierre. Ainsi, on regrette de ne pas disposer de plus de détails et d’informations telles que les retranscriptions du discours par Le Moniteur, ou celles conservées dans les Archives Parlementaires.

L’ouvrage de Sonenscher n’en reste pas moins un ouvrage éclairant et novateur sur la question de la sans-culotterie mais qui, comme tout travail de cette ampleur, souffre de quelques lacunes.

NOTES

(1) « This is a book about the sans-culottes and the part they played in the French Revolution. It is also a book about Rousseau, and no less centrally, a book about salons. » (p. 1)

(2) Cf. Annie Geffroy, « Sans-Culotte (s) (novembre 1790-juin 1792), in Dictionnaire des Usages Socio-Politiques (1770-1815), fasc.1, Désignants socio-politiques, Paris, Klincksieck, 1985.

(3) Gabriel Mably, Collection complète des œuvres de l’abbé de Mably, t. XIII, Paris, Desbrière, 1794-1795.