Enfin, la troisième impasse consiste à continuer d’en parler sur un mode généalogique et à faire de la Révolution française la « matrice des totalitarismes ». Cette historiographie a imposé un dégoût pour la Révolution française arc-bouté à un dégoût pour les crimes politiques du XXe siècle en superposant l’expérience du XVIIIe siècle et celle du XXe siècle (2). Elle n’est ainsi qu’une manière de produire un discrédit sur la Révolution française dans son ensemble, sur la révolution comme phénomène politique et social, à maintenir un voile d’ignorance sur la Révolution comme processus d’émancipation. Elle est bien sûr en partie contradictoire avec la position précédente car l’absence d’État ou l’État faible ne peuvent produire du « totalitarisme ». Cette position souhaitait produire une critique, qu’on pourrait qualifier d’absorbante de l’histoire de la Révolution française. Elle devait disparaître dans sa dimension héroïque, laudative, et même interprétative, le dégoût devait l’emporter sur la curiosité. À ce titre, elle a pris quelques rides car la Révolution française comme événement et comme objet a résisté à ce pouvoir absorbant (3). L’histoire de la Révolution française ne peut se dissoudre dans cette question finalement fausse des matrices du totalitarisme. Elle reste cependant disponible, ne serait-ce que pour affirmer que tout travail qui s’intéresserait à la violence politique révolutionnaire et populaire, non pour la vilipender mais pour l’analyser et la comprendre, reconduirait une justification des pires violences politiques, celles qui ont endeuillé le XXe siècle. De là à considérer que faire l’histoire de ces violences populaires est un appel au meurtre est un pas qui a été récemment franchi (4). De fait, la fabrique de l’interdit pèse sur l’objet même des violences populaires si l’historien vise moins à les juger qu’à comprendre leur engendrement, s’il souhaite écouter les arguments des acteurs et restituer la part d’incertitude qui a été la leur. Faire cette histoire c’est donc encore lever un tabou.

Mais le tabou ne porte pas seulement sur la violence mais bien sur le peuple comme acteur légitime. Ces différentes manières de ne pas faire ou de faire l’histoire de la violence révolutionnaire conduisent à ne jamais le prendre en compte comme tel.

Dans le premier cas, sous prétexte de protéger l’objet Révolution, la violence des luttes qui s’y sont déroulées semble masquée. La fabrique d’une Révolution française sans violence exécutive, sans violence en contre-coup de la résistance à l’oppression, donne un sentiment étrange de déréalisation. Au lieu d’être vénérées ou monumentalisées comme elles avaient pu l’être très longtemps dans l’historiographie nouée à la société des études robespierristes et à la revue qu’elle publie depuis le début du XXe siècle, les Annales historiques de la Révolution française, ces luttes sont, pour ainsi dire, absentées, le peuple comme acteur politique et ses porte parole avec.

Dans le second cas, rien ne mérite la vénération ni la monumentalisation puisque la violence est non seulement on ne peut plus discréditée mais impossible à cerner. Elle est l’ombre de l’événement, son spectre. Cette historiographie qui prétend ne pas vouloir juger les acteurs pris dans une catastrophe politique, affirme pourtant que de mauvais plis sociaux ont rendu le petit peuple archaïque et violent et elle déplore ainsi qu’il soit devenu à part entière membre du peuple souverain. En creux, il s’agit fondamentalement d’une attitude anti-révolutionnaire puisque la Révolution conduirait nécessairement à la violence, ne pouvant se lover que dans des périodes de faiblesse de l’État répressif, se lover dans des moments inouïs où des révoltes légitimées font le droit. La violence révolutionnaire serait alors le surgissement d’un tréfonds humain nauséabond et rien d’autre, elle ne serait jamais légitime. La violence exécutive, quant à elle le serait toujours puisqu’elle vise à empêcher que ce tréfonds se manifeste. Le peuple est constitué d’une nuée de barbares à maîtriser, à contrôler.

Enfin dans le troisième cas, le peuple est la victime du « totalitarisme » des comités, des institutions de terreur. Il n’est pas responsable de sa destinée puisque, justement, il a été manipulé par des figures perverses et dictatoriales, muselé par un appareil d’État destructeur de la liberté de penser et de s’exprimer.

Pour sortir de ces impasses qui, soit absentent le peuple, soit le diabolisent, soit le victimisent, il s’agit d’une part de lui redonner sa place comme acteur politique et, d’autre part, de cesser de parler de la violence au singulier, pour saisir comment s’enchaînent des violences multiples en période révolutionnaire: violences symboliques, violences sur les corps du côté de l’exécutif répressif, violences réactives du côté d’une « majesté nationale outragée » (5) qui résiste à l’oppression. Enfin il s’agit de prendre la mesure de ce que pourrait être une histoire vraiment contemporaine des violences politiques révolutionnaires.

Mais qu’est-ce que « le peuple » ?

Depuis que je travaille sur la « voix du peuple » et sur ce corps parlant que sont ses émotions, on m’a souvent demandé qui était « ce peuple patient » dont je parlais ? Si je croyais qu’il avait vraiment existé ? Qui il était sociologiquement ? Si Robespierre qui affirmait : « Je suis peuple » faisait, de mon point de vue, partie du peuple avec sa perruque poudrée et son bel habit ? Je me suis peu à peu rendue compte que le mot « peuple » était devenu une catégorie infréquentable en histoire, quasi inacceptable. Elle dévoilait la naïveté de l’historien qui croyait aux catégories de ses sources sans les interroger. Or, selon moi, faire l’histoire du peuple révolutionnaire, c’est accepter une tension réelle entre le peuple de l’énonciation d’acteurs qui parlent du « peuple » ou au nom du « peuple » et le fait populaire sociologique. Mais, on le sait bien pour la Révolution française comme pour la démocratie grecque, le peuple est une fiction active et il est en même temps bel et bien l’enjeu de ce qui doit advenir en politique, un souverain populaire, un peuple qui occupe l’espace souverain. Il est à la fois la fiction active, l’objet manipulé et l’acteur central du processus qui conduit à l’avènement de la République comme gouvernement populaire. Le mot « peuple » de « ma longue patience du peuple » dit tout cela. Comme le chausson aux pommes de Marcel Proust, comme le temps de Koselleck, « le peuple » est un concept feuilleté, à la fois politique, historique, et langagier. Il est le terme politique qui crée la tension entre une totalité imaginaire et ceux qui ne sont pas encore autorisés à prendre part au pouvoir, ceux qui sont exclus par le suffrage censitaire de 1791. Penser la catégorie de peuple c’est penser ces tensions, ces écarts.

L’expression « longue patience du peuple » est celle de Jean-Baptiste Louvet connu pour avoir accusé Robespierre d’être responsable, avec son supposé ami Marat (6), des massacres de septembre. On peut alors se dire que, oui, le mot « peuple », plus exactement l’éloge de cette longue patience du peuple chez Jean-Baptiste Louvet n’a pas seulement partie liée avec la démocratie qui vient, mais avec une démagogie brissotine qui travaille « l’esprit public », avec son ministère de l’esprit public inventé par Roland. Ce dernier souhaitait explicitement travailler au corps l’opinion populaire et produisait la propagande nécessaire à cet effet depuis ce ministère public. Mais, ce peuple qui n’aurait même plus droit à son nom dans l’histoire, devient pourtant le corps-sujet de cette histoire. Des hommes, des femmes disent qu’ils sont le peuple souverain et poursuivent un trajet politique, persévérant, déterminé. Ils n’attendent ni l’aveu des Brissotins, ni même celui de Robespierre pour déclencher l’insurrection du 10 août au nom de la résistance à l’oppression. Ce peuple est certes composite sur le plan sociologique et même sur le plan philosophique. Ni purs sujets de liberté, ni purs agents soumis à des déterminations certaines. D’une manière éphémère et rare, ils ont pu en 1792, devenir des sujets de liberté, en tentant de penser les situations qu’ils vivaient ou qu’ils subissaient. Ils ne décidaient pas dans la maîtrise des conséquences, mais agissaient parfois librement. Faire l’histoire de ce peuple, c’est refuser son absentement de la scène historique, c’est aussi déjouer l’identification du peuple à la « populace ». C’est ainsi déclarer : oui, cette catégorie suppose encore d’être historicisée, oui cela vaut encore la peine de faire l’histoire du « peuple ». J’irai même jusqu’à affirmer que faire l’histoire de la démocratie suppose de faire l’histoire du peuple et de distinguer une catégorie sociologique et historique qui peut opter politiquement contre la démocratie, alors que « le peuple » comme catégorie philosophique et politique ne peut aujourd’hui s’appeler tel qu’en inventant la démocratie.

Je crois qu’aujourd’hui cette conscience de la division constitutive du peuple et de la politique comme bataille, conscience au fondement du désir de faire de l’histoire, est en crise comme est en crise l’histoire du peuple. Venons en maintenant aux violences.

Violences réprimantes, violences libérantes

Loin de confondre toutes les pratiques violentes, une approche pertinente des faits de violence doit distinguer classiquement entre violence exécutive, réprimante – en Révolution, en 1791-1792, l’usage par exemple de la loi martiale, de la violence législative qui fabrique une violence symbolique. Mais il s’agit aussi de distinguer l’émeute nouée à la revendication de résistance à l’oppression, du massacre noué au « silence des lois », et à l’ouverture d’un cycle de la vengeance. Cette vengeance, les anthropologues la considère comme la forme que prend la justice quand la société n’est pas unifiée mais qu’elle vise à le redevenir. Elle n’est pas une forme dégradée de la justice pénale, mais la forme de justice à l’œuvre dans des sociétés scindées en deux groupes vindicatoires. Si la guerre est, dans sa forme défensive, une troisième institution de justice, elle ne vise que l’anéantissement du groupe ennemi. La vengeance publique vise, elle, la réconciliation sociale avec le groupe vindicatoire antagoniste dont la dette d’honneur et de sang doit être réduite pour pouvoir réunifier la société.(7) La vengeance n’est pas une loi martiale.

Or ce qui frappe, c’est que, sans être des épiphénomènes ni des événements en surcroît dénués de décision et de caractère décisif, ces moments émeutiers ou vengeurs sont rares car le peuple a une conscience réflexive des dangers de la fureur. Grâce à l’invention en situation de rituels d'apaisement, les révolutionnaires ont longtemps retenu, sans la refouler, l'émotion et la violence révolutionnaires. Au cœur de cette retenue, la demande de loi et le dialogue réglé avec l’assemblée. Pétitions et rituels sont alors aptes à faire partager aussi bien des arguments que des émotions.

Pourtant, malgré cette volonté de retenue, la violence a bien été effective. Dans quel chaînage depuis juin 1791 ? Une violence symbolique de l’exécutif, la fuite du roi signant sa trahison. Une violence symbolique des Constituants qui inventent une fiction protectrice pour ce roi. Une violence du pouvoir exécutif sur les corps des pétitionnaires réclamant justice face à ces trahisons, dans la fusillade du champ de mars, le 17 juillet 1791 où la loi martiale est déclarée. Violence répressive et policière sur les journaux et les sociétés politiques de sensibilité populaire ou républicaines. Violence symbolique de l’amnistie des émigrés, du roi et des personnes qui l’avaient aidé à fuir ; violence symbolique de l’amnistie des faits de révolution qui fait passer à la trappe la mémoire de cette fusillade. Violence de la loi martiale dans les campagnes, réactions violentes en regard, répression, violence symbolique du « silence des lois » et règlements de compte que ce silence autorise. Violence ensuite des défaites guerrières attribuées à une nouvelle trahison, veto vécus comme une exposition à l’anéantissement du peuple révolutionnaire par son roi, demandes de lois de défense refusées, incrimination des pétitionnaires du 20 juin...

La liste est fort longue de la violence subie avant que le peuple ne se décide à reprendre le glaive de la loi, à ressaisir sa souveraienté du côté d’une violence agissante. La décision de l’insurrection ne s’est pas faite sur un coup de tête et il paraît urgent de réfléchir à ce qui peut conduire à programmer une insurrection quand on redoute pourtant les effets délétères de la violence sur les corps. Il s’agit de comprendre quand et comment la patience du peuple s’épuise. Or cette question est d’actualité.

Actualité d’une telle histoire

Notre présent est plein d'une interrogation sur les manières de pouvoir maintenir un idéal démocratique face à la dérégulation des rituels les mieux établis (le vote), des institutions les plus caractéristiques de cet idéal (la presse) aux prises avec la ligne de crête démagogique ou autoritaire. S’il s’agit de réinventer des gestes de résistance à l’oppression, quelle forme peuvent-ils prendre ? Jacques Derrida, puis Giorgio Agamben ont pointé depuis déjà une dizaine d’années « l’impossible au-delà d’une souveraine cruauté », montré que si l’alternative à la société du spectacle était cette cruauté souveraine, il n’était pas certain qu’il soit possible de retrouver facilement un ethos de citoyen. L’héroïsme des jeunes gens sacrifiés sur l’autel de la patrie ne pouvait correspondre à notre contemporanéité. Sont venus les gestes d’interruption des flux comme alternative à l’affrontement, une stratégie de biais qui interroge la place que la violence doit et ne doit pas prendre dans cette résistance. La violence sur les flux, n’est justement pas une violence sur les corps, elle espère être délestée de la cruauté.

Pourtant l’interpellation du présent est celle de violences effectives, émeutières, répressives, symboliques, ou très concrètes quand ce sont des milliers d’emplois qui se perdent par délocalisations et que des vies se fracassent sur les brisants du libéralisme économique contemporain. Il s’agit alors de questionner les mécanismes qui conduisent à l’enchaînement des différentes violences qui ont parfois partie liée avec la résistance à l’oppression et parfois non. Enfin si l’on restreint le champ au seul registre de l’émeute, quelle place y tiennent les provocations des mauvais représentants de l’État, qui tel un Simoneau qui, pour avoir joué avec la loi martiale face à des hommes qui venaient taxer le blé pour simplement pouvoir survivre, en est finalement mort ? Quel rôle jouent dans cette montée des tensions les vrais instigateurs de politiques publiques déstabilisatrices ? Mais aussi : comment les acteurs provoqués parviennent le plus souvent à retenir une violence latente nouée à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « l’insécurité sociale » ? Quels sont les dangers qui rôdent cependant lorsque l’Etat fait la sourde oreille face aux demandes qui s’expriment par une souveraineté en actes, calme et déterminée ? En refusant de protéger par des lois les outils économiques et culturels que sont les entreprises et le système éducatif, il produit une dette incommensurable car de tout temps l’Etat doit produire la sûreté, la sécurité et la paix. Lorsqu’il ne le fait plus, il rompt un pacte fondateur et déclenche un désir intempestif de justice à la hauteur de cet abandon. Enfin, quels sont les effets du pourrissement de mouvements sociaux qui, s’ils dégénèrent, peuvent autoriser une reprise en main autoritaire ?

L’histoire de la patience populaire et de son épuisement mérite toute notre attention, moins pour répondre à François Furet et autres contre ou anti-révolutionnaires, que pour faire de ces questions présentes la possibilité d’une nouvelle ouverture du dossier historique et politique. « L’histoire est l’objet d’une construction qui n’est pas le temps homogène et vide mais qui forme celui qui est plein de “temps actuel”. Ainsi pour Robespierre, la Rome antique était un passé chargé de temps actuel, surgi du continu de l’histoire. » (8) Pour nous l’histoire de la Révolution reste pleine d’un temps actuel, il n’est ni celui de la troisième République ni celui de l’inquiétude antitotalitaire, mais celui d’un savoir nécessaire pour aborder savamment, prévenus et conscients, les luttes démocratiques qui sont devant nous.

Il s’agit de comprendre, à la lumière de la Révolution française, ce que doit être un bon représentant, un bon fonctionnaire, lesquels doivent apaiser les ressentiments, participer de cette retenue de la violence, ne pas attiser la colère, mais l’entendre.

Cependant si les révolutionnaires les plus radicaux se sont méfiés de la violence comme moment qui peut échapper au politique et ont fabriqué une auto-institution de sa retenue, ils ne l’ont jamais diabolisée. Considérée comme un dernier recours, il s'agit alors de comprendre comment cette violence peut, à un moment stratégique, être libérée par une décision (l’insurrection du 10 août 1792), et peut aussi déborder cette décision (massacres de septembre) ; l’insupportable ne se confond pas alors avec l’intolérable.

Il serait bon que la conscience historique de ce risque habite ceux qui disposent de la violence symbolique et du pouvoir de faire des lois. Car c’est bien un désir de loi qui s’exprime dans la violence même. Un désir de lois protectrices, de lois justes, le renouvellement d’un pacte réconciliant le souverain et ses représentants. Alors oui, le peuple exige d’être entendu et, s’il ne l’est pas, il rompt ce pacte déjà fort mal en point.

Disqualifier cette aspiration à la justice politique en la qualifiant d'appel au meurtre n'explique pas quand, pourquoi, comment le peuple se porte à de telles extrémités : « Brûler n'est pas répondre. »

Ce texte a été publié dans Lignes (mai 2009) et répond à la recension de La longue patience du peuple , 1792 naissance de la République, due à Jean-Clément Martin, parue dans les AHRF, n°354, 2008

NOTES

(1) J.-C. Martin, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national, Paris, Éditions du Seuil, 2006

(2) Il s’agit du Livre noir du communisme, sous la direction de Stéphane Courtois et du Passé d’une illusion de François Furet. Dans cette filiation, et désormais avec Stéphane Courtois pour auteur Le Livre noir de la Révolution française, la face obscure de la Révolution française, le Cerf, Paris, 2008. Y ont participé plusieurs membres de l’Institut (Pierre Chaunu, Jean Tulard, Emmanuel Le Roy Ladurie).

(3) En témoignent le site Révolution Française.net, les travaux des membres du comité de rédaction de ce site, Marc Belissa, Yannick Bosc, Françoise Brunel, Marc Deleplace, Florence Gauthier, Jacques Guilhaumou, Fabien Marius-Hatchi, Sophie Wahnich ; les travaux de Jean Fabien Spitz en science politique, ceux d’Anne Simonin qui vient de l’histoire contemporaine, la vigueur de ce champ outre atlantique et outre manche, etc.

(4) Jean-Clément Martin peut ainsi écrire à propos de Sophie Wahnich, La Longue patience du peuple, 1792, naissance de la République (Paris Payot, 2008) et des analyses qui y sont faites des massacres de l’été 1792 : « L’historien ne peut pas oublier que les assassins (les mots ont un sens et il faut le garder) ont été mis au ban de la société et qu’ils n’ont dû leur impunité temporaire, qu’à leur rôle dans les institutions qu’ils ont contrôlées jusque dans les années 1793-1794. (…) Il ne peut être dupe des analyses pseudo politiques transmuant des actes de droit commun en justice populaire. (…) Le XXe siècle a été généreux en ce qui concerne les déviations de ce genre de justice ; de la révolution russe depuis l’été 1917, au Cambodge de sinistre mémoire, en passant par le Japon des militaires, pour refuser qu’on puisse justifier la mort d’un opposant parce qu’il a politiquement tort. Rien ne peut justifier philosophiquement une telle position d’appel au meurtre populaire, dans une pareille démonstration aussi imprécise et inscrite dans un climat de sacralité mal définie. » AHRF, n°354, 2008.

(5) Expression de la pétition du 20 juin 1792, présentée à l’assemblée législative par les porte-parole du faubourg Saint-Antoine.

(6) Toute analyse de la violence révolutionnaire suppose de repasser par la case Marat. Or Marat est en partie fabriqué par les Girondins, et leur opposition systématique à l'Ami du peuple donne de plus en plus de poids à des propos qui sont parfois de l'ordre d'une provocation rhétorique, une provocation de journaliste et qui vont être pris au mot. Marat lui même s'en mord les doigts. Mais qu'est-ce que l'accusation de maratisme qui revient dès qu'on s'approche de la Révolution et de sa violence ? Une manière de renouveler ce jeu de miroirs et de transformer une analyse de la retenue de la violence en appel au meurtre.

(7) Sur ce point, je renvoie à Raymond Verdier (dir.), La Vengeance. Études d'ethnologie, d'histoire et de philosophie, Paris, Éditions Cujas, 1980.

(8) W. Benjamin, « Thèse XIV sur le concept d’histoire », in Œuvres, t. III, Paris, Gallimard, 2000.