Présentation

Soucieux d’apprécier l’impact du discours que nous publions, et faute de disposer du procès-verbal de la section 5, nous en avons cherché la mention dans d’autres procès-verbaux de section. C’est ainsi que dans le registre de la section 4 (L 1936), il est écrit :

« Le 7 août 1793, une députation de la section cinq est introduite dans l’assemblée, et remet sur le bureau un extrait d’une pétition des citoyennes de la même section tendante à exciter le zèle et l’ardeur des soldats qui n’ont pas joint leurs drapeaux, et a en autorisées à couronner de leur main l’armée départementale lorsque ayant repoussé l’armée des brigands et détruit l’anarchie, elle rentrera dans notre cité. L’assemblée applaudit au patriotisme des citoyens de la section cinq, et adhère à leur pétition bien propre à inspirer aux soldats le désir le plus ardent de la victoire » (L 1936).

Le discours de la section 5 a-t-il été prononcé dans la section 4 ? Cette question, en apparence anodine, trouve une solution intéressante, dans la mesure où elle met en cause une citoyenne de la section 4, Thérèse Clappier fille, qui appartient à une groupe de jeunes femmes très actives dans la section, comme nous l’avons montré par ailleurs (1).

En effet, arrêtée pendant la terreur, Thérèse est présentée au Tribunal révolutionnaire dans des conditions particulières. Tout commence au moment où sa mère est accusée d’être "aristocrate" et s’en défend, mais l'accusation porte aussi sur sa fille:

« L’accusateur public parle : Clappier a instruit sa jeune fille dans les principes des sections, elle lui appris à se servir du pouvoir de ses charmes pour pervertir les esprits et corrompre les mœurs, elle l’a conduite dans sa section, elle l’a forcée à se soulever contre la Convention et les patriotes par un discours contre-révolutionnaire ».

L’accusateur public demande donc l’audition de Thèrèse sa fille qui répond à l’accusation de la manière suivante :

« Elle dit s’appeler Thérèse Clappier, fille âgée de seize ans, née et domicilée à Marseille sur l’arrondissement 4. A déclaré avoir été trois ou quatre fois à la section avec ses amies, n’y avoir jamais prononcé un discours dont fait lecture le greffier, dit c’est le citoyen Maysse qui me l’avait fait, pour me faire passer pour héroïne, je ne n’ai pas prononcé. Ma mère et moi n’y avons aucune part, j’allais aveuglément à la section » ( Séance du Tribunal révolutionnaire du 3 floréal an 2, L 3119).

En fait, Sabine Maysse est l’une des amies de Thèrèse et fait partie du groupe de jeunes femmes très actives dans la section, d’où l’intervention du frère de Sabine, et ainsi de suite, ce qui laisse penser que ce discours a bien été prononcé par Thérèse dans la section 4. En qualifiant ce discours de « contre-révolutionnaire », alors qu’il a été présenté au nom des citoyennes républicaines de la section, le Tribunal lui confère une importance toute particulière, et nous incite à y voir une manifestation exemplaire du républicanisme des marseillaises qui ont adhéré au mouvement sectionnaire, dont le dossier Marseille révolutionnaire précise les principales caractéristiques au sein de la dynamique des pouvoirs à Marseille pendant la Révolution française (Jacques Guilhaumou).

Texte

N.B. Une première publication de ce discours, conservé dans le dossier L 1984 des Archives départementales des Bouches-du-Rhône, a été faite, sans présentation particulière, dans notre ouvrage Marseille républicaine (1791-1793), Paris, Presses de Sciences po, 1992.

Extrait du de la délibération de la section 5, séance du 7 août 1793, l’an second de la république française. Une citoyenne ayant demandé et obtenu la parole a dit :

« Citoyens,

Notre sexe oublié et presque avili dans les Gouvernements despotiques a montré dans les Républiques qu’elle pouvait être son influence sur la gloire et la prospérité des nations. Les femmes polissent les mœurs, élèvent l’âme, ornent l’esprit. On a même vu de tout temps et dans des occasions périlleuses, une foule de femmes ajouter l’exemple de l’héroïsme aux grandes leçons qu’elles en donnaient.

L’histoire a consacré leurs noms et les actes éclatants de courage et de grandeur d’âme qu’elle nous a transmis en réveillant le souvenir de leurs vertus. Pourraient-ils ne pas nous exciter à les suivre ?

C’est surtout dans une République naissante qu’il faut électriser les âmes. Un tell état a besoin pour se raffermir du développement de toutes ses facultés humaines et du ressort actif des passions ennoblies par l’amour de la Patrie et de l’Humanité. C’est par là qu’ont jadis brillé Rome et Athènes. Marseille émule de ces villes célèbres pourrait-elle cesser tout d’un coup de les égaler ?

Non, citoyens, le moment est venu où elle doit se montrer digne de sa Réputation et de sa Gloire. Le moment est venu où son Patriotisme et son Courage doivent imposer silence à ses ennemis. Mais à qui mieux qu’à nous appartient-il d’exciter l’ardeur des braves descendants des Phocéens : ignore-t-on, l’ascendant vainqueur d’un sexe faible en apparence ?

Semblable aux prêtresses de Vesta, c’est à nous de conserver ce feu sacré, image d’une vertu sans tâche et d’en souffler les vives étincelles dans tous les cœurs. C’est à nous à former de nouveaux Décius qui sauront s’immoler pour le salut de la Patrie.

Elevés par nos soins, nos enfants, n’en doutez pas, apprendront de bonne heure que leur titre le plus sacré est celui de Citoyen ; ils sauront que leur premier devoir est de mourir pour la Patrie, s’ils veulent en mourant emporter le titre de Citoyen. Pourrait-il y avoir parmi nous aujourd’hui une âme assez froide pour être indifférente aux maux dont nous sommes menacés ? Non, je ne puis le croire. Hâtons nous d’exciter de l’ascendant que donne la vertu pour placer nos enfants, nos époux à la hauteur de notre Révolution.

Que l’amour, cette passion efféminée dans un gouvernement despotique soit dans notre république le premier mobile de toutes les vertus. N’allumons son flambeau que pour conduire nos époux à la victoire. Lui seul peut donner cette mâle énergie, première vertu de l’âme pour former le héros.

Que l’amour, cette passion efféminée dans un gouvernement despotique, soit dans notre République le premier mobile de toutes les vertus. N’allumons son flambeau que pour conduire nos époux à la victoire. Lui seul peut donner cette mâle énergie, première vertu de l’âme pour forme le héros.

Que nos époux, que nos enfants sachent qu’en combattant pour la patrie, ils satisfont à leur premier devoir, et puis qu’ils se montrent époux et pères, alors, mais alors seulement, ils seront dignes de nos embrassements. Mais ils seront repoussés avec dédain, si sourds à la voix de la patrie, ils s’endorment dans les bras de la mollesse.

O vous citoyennes de cette section, joignez-vous à moi et toutes ensemble disons à nos époux et à nos enfants, marchez, volez vous ranger sous les étendards de la liberté, emblème de la victoire, allez combattre et soyez sûr de vaincre en embrassant une aussi belle cause. C’est le seul moyen qui puisse vous mériter notre tendresse. Défendez votre patrie, c’est former un rempart à vos femmes et à vos filles, nous partageons vos maux et vos plaisirs, nous partageons également votre Gloire.

Si vous reculez, nous périssons tous par le glaive des assassins, mais si vous avancez, la Patrie est sauvée et avec elle tout ce que vous avez de plus cher. Eh quoi ! Pourriez-vous être avare d’un peu de sang répandu dans les combats tandis que votre lâcheté en coûterait bien d’avantage. Citoyens, préférez-vous mourir assassinés que de mourir en combattant, non je ne puis le croire. S’il vous faut mourir que ce soit en héros, les armes à la main, vivre esclave, c’est mourir tous les jours. Certes notre liberté nous coûte assez cher pour la défendre, oui, Citoyens, nous le jurons toutes, La Liberté ou la mort. Cette alternative est la seul digne des Républicains.

En donnant votre sang à la Patrie, songez que c’est le nôtre, car en lui donnant nos fils et nos époux, nous lui donnons plus que nous-mêmes. Sur le champ de bataille, vous ne faites que mourir et nous avons le malheur de survivre à ce que nous aimons le plus, jugez de quel côté se trouve le vrai Courage.

Pourriez-vous encore délibérer, lorsqu’il vous faut combattre, y a-t-il parmi vous des âmes assez lâches pour nous livrer au fer des assassins. Ah ! Frémissez du spectacle d’horreur qui s’offrirait à vos yeux si contre notre attente, vous ne vous empressiez de joindre vos drapeaux. Sachez que quelques uns de vous peut-être n’échapperaient pas à la mort que sur les corps sanglants d’une mère ou d’une épouse expirante. Ah ! Je l’entends cette tendre mère vous dire à ses derniers moments, enfants ingrats et dénaturés, vous m’avez donc abandonnée, moi qui vous portai dans mon sein, moi qui vous nourrit de mon lait, c’est votre lâcheté qui me tue. Recevez mes adieux et mes vœux. Allez, vous êtes pardonnés, allez combattre et sauver la Patrie. D’autres verraient leurs filles en proie à la brutalité des scélérats. Eh ! quoi s’écriraient-elles d’une voix mourante et avec l’accent de la douleur ? Eh ! quoi, tristes fruits des liens que vous chérissez, vous nous avez froidement sacrifiées, nous tant de fois l’objet de vos tendres sollicitudes ? Ah ! Revenez et que du moins votre Courage puisse nous venger de nos maux.



Tel est le spectacle effrayant que vous offrirait votre égoïsme… Mais détournons nos regards d’un tableau si révoltant, il doit faire place à de plus riantes images. Citoyens, offrez à l’univers étonné un spectacle plus digne de nous tous, allez combattre, sans doute vous serez victorieux quand vous saurez que pour prix de votre triomphe, vous trouverez en rentrant dans vos foyers vos filles et vos femmes ne formant qu’un groupe sur l’autel de la Patrie. Là vous verrez toutes à l’envie nous disputer l’honneur de chanter vos victoires que nous n’avons pu partager, et vous verrez la vertu rendre hommage à la valeur en posant la couronne civique sur vos têtes et vous jouirez de la seule récompense digne de l’homme libre.

Si ma motion est appuyée, je demande qu’elle soit convertie en pétition et envoyée à l’adhésion des sections, nos sœurs, pour qu’au retour de nos braves guerriers, ils soient couronnés par nos mains sur l’autel de la Patrie. »

Lecture faite de la pétition ci-dessus qui a été appuyée, la section considérant que ce n’est pas la première fois que les Citoyennes marseillaises ont manifesté le Courage vraiment républicain qui les anime ; qu’un monument public et multiplié par la gravure a transmis à tout la France celui qu’elles déployèrent dans une occasion des plus périlleuses, ou après avoir fait les plus grands sacrifices pour sauver la Cité, elle se déterminèrent par un mouvement spontané à couper leur cheveux pour en faire des cordes dont on manquait et forcèrent par un don aussi précieux que généreux un ennemi qui avait juré la perte de la France entière, à lever le siège de la ville (2).

N.B. La mention, sur le manuscrit « motion imp(rimée) » barrée précise sans doute que ce discours n’a pas été imprimé.

(1) Voir notre étude sur les "Conduites politiques de Marseillaises pendant la Révolution française", Provence Historique, fascicule 186, octobre-décembre, p.471-489.

(2) Il s’agit d’une référence à la contribution héroïque des femmes à la défense de la Cité contre César, donc pendant la période romaine : elles donnent leurs cheveux pour tisser les cordes des arcs des défenseurs. Nous retrouvons une telle geste héroïque pendant le siège de Marseille en 1524 où les Marseillaises aident au renforcement défensif des murailles.