La haine n’est certes pas une passion inconnue des historiens, qui interroge les comportements collectifs et pose au plus haut point la question des conditions de la destruction du lien social, lorsqu’elle s’exprime sans frein, et du rétablissement de l’ordre rationnel de la Cité, par les procédures de contrôle qu’elle implique. Mais la constituer comme objet historique proprement dit invite à poser, à côté des approches philosophiques, psychologiques ou sociologiques du phénomène, les spécificités d’une approche historique, qui peut s’inscrire dans une démarche d’historien aussi bien que de musicologue ou de linguiste.

Le premier point semble bien la nécessité de distinguer la haine proprement dite d’autres formes d’expression du conflit social et politique, déjà largement explorées par les historiens, telles que la violence et l’injure. La haine peut déboucher sur la violence où s’exprimer par l’injure. Mais elle n’est réductible à aucun de ces phénomènes. Il importe de réfléchir à ce que spécifier un discours d’affrontement comme « discours de la haine » apporte à la compréhension historique de la violence sociale et politique. Deux hypothèses peuvent nous guider : que la haine introduit une différence de degré ; qu’elle introduit également une différence de nature. Différence de degré : il s’agit de mesurer le surcroît de force que le discours de la haine apporte à l’injure politique. Différence de nature : il semble que le discours de la haine soit, davantage que l’injure, capable de produire un espace social et politique, essentiellement dichotomique, susceptible d’appuyer de véritables « politiques de la haine ».

Il convient ensuite de proposer une description contextualisée des formes d’expression de la haine, des « discours de la haine » donc, le terme de discours devant être entendu dans le sens le plus large : discours politique certes, mais également mobilisation des figures de la haine. Un tel projet suppose de revenir sur l’articulation de différents discours, de différentes haines : politiques (haine de la monarchie) ; religieuses (haine des protestants, des jésuites) ; sociales (haine du peuple, haine du bourgeois, en tenant compte de l’ambivalence de ces haines : haine populaire envers le bourgeois ; haine du peuple chez le bourgeois). On sera attentif aux haines « en miroir », celles dont la condamnation affichée traduit en regard la haine de leurs contempteurs.

Quatre interrogations peuvent en définitive servir de fil conducteur pour ce colloque. La première porte sur les structures spécifiques du discours de la haine : la haine est-elle de nature à produire des formes particulières, identifiables, de discours et d’expression ? La deuxième inscrit le discours de la haine dans l’horizon de l’histoire sociale des représentations qui définit assez exactement l’histoire culturelle. On peut investir les représentations sur lesquelles s’appuie le discours de la haine, les représentations qu’il charrie, enfin les représentations qu’il construit. Mais le discours de la haine n’est pas réductible aux seules représentations. Il invite en troisième lieu à s’interroger sur la fonctionnalité de la haine dans le discours social et politique. Ce qui conduit au paradoxe d’une haine positive capable de fonder cette fois, au lieu de le détruire, le lien social : haine du péché ou haine de la tyrannie. Enfin, donc, aborder la question de la haine comme discours sur la société implique de revenir sur les modalités de surgissement de la haine et les formes de son contrôle dans la Cité. Bref, de poser la question du contrôle des affects dans un « procès de civilisation ».

Marc Deleplace, MCF Histoire contemporaine EA 2616-CERHIC, Université de Reims Champagne-Ardenne, IUFM Champagne-Ardenne.

COMITE SCIENTIFIQUE : Maria Caraci (Università di Pavia) ; Franck Collard (université Paris X) ; Claude Gauvard (université Paris I) ; François Hinard (université Paris IV) ; Jean-Clément Martin (université Paris I) ; Michaël Rinn, (université de Bretagne occidentale) ; Colin Jones (Université de Londres)

COMITE D’ORGANISATION : Marc Deleplace (IUFM Champagne-Ardenne) ; Patrick Demouy (Université de Reims Champagne-Ardenne) ; Bernard Grunberg (Université de Reims Champagne-Ardenne) ; Bernard Legras (URCA) ; Catherine Nicault (Université de Reims Champagne-Ardenne) ; Bertrand Porot (Université de Reims Champagne-Ardenne ) ; Michel Tamine (IUFM Champagne-Ardenne).

DOMAINES DE RECHERCHE : Histoire (antique, médiévale, moderne et contemporaine) ; linguistique ; musicologie.

Université de Reims Champagne-Ardenne, UFR DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES, 57, Rue Pierre Taittinger – F. 51096 Reims Cedex

CERHIC, Centre d’Études et de Recherche en Histoire culturelle – EA 2616 Contact : Marie-Hélène Morell, Ingénieur d’Études Tél./rép./fax : +33 3.26.91.36.75 mh.morell@univ-reims.fr