Programme

Les réformes aujourd’hui et hier, une catastrophe sociale.

Au regard des tribulations ministérielles actuelles, il apparaît désormais que nous sommes dans une nouvelle période de réformes, c’est-à-dire de catastrophe sociale. Depuis les années 1970, la nouvelle offensive du capitalisme a pris l’habit de la réforme, présentée sous le nom de néo-libéralisme ou de mondialisation, contre les soi-disant conservatismes sociaux, en fait les acquis de la lutte sociale. Ainsi elle a réduit l’embauche par les délocalisations, entraînant un chômage inédit. Elle s’efforce aussi de détruire les législations protectrices de la société, les droits sociaux, les services publics, les droits politiques des peuples et donc des citoyens, afin d’imposer à l’échelle mondiale un marché du travail concurrentiel et des salaires abaissés que les précarisations, déjà visibles, annoncent à son de trompe.

Historiquement, les réformes de la fin de l’Ancien Régime en France, menées sous la houlette des ministres réformateurs du roi, et avec l’appui des « philosophes économistes », qui nous situent au coeur des tribulations ministérielles d'alors, nous introduisent à une première manifestation d’une telle dérégulation massive des marchés. En réponse à un tel « despotisme légal », les émotions populaires, sous la forme d’émeutes de subsistances, et plus précisément de troubles de taxation, se multiplient et atteignent leur paroxysme avec « la Guerre des farines » en 1775. L’indignation des familles est alors à son comble alors qu’elles ne peuvent faire leurs courses avec le produit de leur travail, leur salaire donc, tant les subsistances ont renchéri : de 1726 à 1785, la hausse des prix des grains a été, dans ce royaume, de 62% et celle des salaires de 20%. Ainsi le peuple donne une leçon d’économie au grand jour, sur les marchés alors publics, à l’encontre des errements des réformateurs. Le mouvement social actuel, des grandes grèves de 1995 au mouvement antiCPE de 2006 procède de la même logique anticapitaliste, de la même indignation devant le démantèlement du marché du travail.

L’actualisation permanente des droits de l’homme et du citoyen, un programme révolutionnaire.

Déjà, une espèce de religion de l’économie promettait le bonheur dans la jouissance de la consommation désirée par les honnêtes gens à la fin de l’Ancien Régime. La volonté de tenir la promesse d’un bonheur futur sous la forme d’un enrichissement général en biens de consommation venait de naître, alors que nous en connaissons actuellement la catastrophe ultime dans la dérégulation à l’échelle mondiale qu’elle suppose dans son application la plus volontariste possible. A cette volonté politique sans attaches autres que dans la classe des « élites privilégiées » répond la volonté populaire, étendue à l’alliance entre diverses couches sociales précarisées (couches populaires, classes moyennes, chômeurs, étudiants, etc.), de maintenir la dignité du travail contre le mépris social, de reconnaître la dignité des droits contre la précarisation. Ainsi dans les années 1770, comme de nos jours, l’idée de Révolution, étendue progressivement à une cosmopolitique, prend son essor sur un tel socle sociologique. En effet il ne s’agit pas pour les sans-parts de revendiquer leur part dans la consommation mondiale, aussi modeste soit-elle, mais de proposer des modalités de production sociale, donc de travail, qui leur donne accès à la totalité de leurs besoins sociaux exprimés et revendiqués à travers l’actualisation permanente des droits de l’homme ET du citoyen.

C’est pourquoi nous proposons d’explorer plus avant l’idée cosmopolitique de Révolution, en liaison étroite avec la lutte contre les réformes en trompe l’œil hier et aujourd’hui, ici et maintenant au regard de la multiplicité et de la dignité des acteurs sociaux qui y contribuent avec leurs propres ressources, leur propre langue des droits. Du temps des troubles de subsistances des années 1770, les « libéraux égalitaires », et Mably au premier plan, proposèrent un programme d’économie politique populaire qui réclamait, dans une société encore essentiellement rurale, une réforme agraire, afin de permettre au plus grand nombre de paysans, sans terre ou n’en ayant pas assez pour vivre, d’être en état de produire leur subsistance eux-mêmes, et d’une réforme du commerce en créant des greniers municipaux administrés démocratiquement, afin d’empêcher les spéculations à la hausse des prix et permettre d’assurer la subsistance des gens. La Révolution française constitue alors une réponse adéquate à ce programme novateur, une alternative crédible à la réforme destructrice des liens sociaux, et demeure ainsi une alternative toujours crédible de nos jours.

L’idée cosmopolitique de la révolution des droits de l’homme et du citoyen ne se limitait pas à un projet d’économie politique populaire « dans un seul pays », mais cherchait, sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à établir des relations à caractère réciproque avec tous les peuples disposés à lutter contre les formes de d’oppression : conquêtes, colonialisme, soumissions des petits peuples, domination de type économique. Une cosmopolitique de la liberté et de l’égalité des droits des peuples commença ainsi de se construire, affirmant la nécessité de conjuguer trois niveaux de droits entre eux : les droits des personnes, ceux des peuples et ceux de l’humanité tout entière. Une telle cosmopolitique de la liberté repose sur le principe du droit des peuples à leur souveraineté politique et projette une alliance entre ces peuples résultant d’une pratique consciente de la réciprocité de leurs droits. Elle met ainsi à distance un néologisme d’invention moderne, pour ne pas dire postmoderme, celui d’état-nation.



''L’état-nation : l’invention d’une monstruosité politique à l’encontre de l’ordre social et universel des peuples.''

De fait, au fur et à mesure de la formation de la classe politique, d’une élite de plus en plus repliée sur la possession exclusive des bénéfices de l’excellence républicaine, bref d’une élite technocratique, la confusion s’est instaurée entre l’Etat et l’intérêt général de la nation. Pourtant, au départ avec les Lumières et les Révolutions organiques modernes, la nation n’était pas autre chose que l’émanation de la souveraineté du peuple : c’est une réalité subjective, immanente et constituante. Constituante, parce que le peuple, seul, est le possesseur collectif de la souveraineté d’une société existant sur un territoire bien concret. L’ensemble des citoyens participe à l’élaboration du contrat social, ou de la constitution si l’on préfère. Les citoyens participent réellement à l’élaboration des lois auxquelles ils vont obéir, après avoir exprimé leur consentement. De ce côté, on l’aperçoit aisément, nous avons quelques progrès à faire, par rapport à notre constitution actuelle !

Ainsi apparut, de surcroît avec l’émergence récente de nouveaux « Etats démocratiques », la catégorisation quelque peu artificielle et monstrueuse de ce néologisme récent d’état-nation, qui semble réduit à sa destinée propre, à distance donc d’un universel où l’ordre social se fonde avant tout sur les droits de personnes concrètes. À distance aussi du peuple, des citoyens, de la société même, porteuse de vie et d’histoire. Cet état-nation manque cruellement de conscience personnelle, collective et universelle ! Il nous apparaît encore beaucoup trop acéphale pour être présentable.

De même la notion d’« histoire universelle » pose problème. Soit elle tend à brouiller, par une trop grande généralité, ce qu’il en est de la part d’universel sans cesse affirmée par l’humanité agissante et souffrante. Soit il s’agit d’une facilité d’expression par rapport à sa réalité légitime, la part d’universel déployée dans l’universalité concrète de citoyens assemblés souverainement et de leurs représentants dans une Assemblée nationale. Historiquement, l’universel ne s’incarne pas dans une structure étatique, mais se manifeste d’abord dans la tradition de la cité, de la politique donc, au nom de la liberté, du droit à la vie et du droit à l’existence. Puis il se maintient, d’un événement à l’autre, dans des formes d’action inscrites à l’horizon d’un républicanisme de droit naturel. Tout peuple devrait ainsi avoir droit à sa part d’universel qui n’est autre que son existence collective en tant que peuple souverain, exerçant comme tout autre peuple son droit à sa souveraineté. Droit universel des peuples, à se donner la constitution de leur choix, sans en être empêché par d’autres puissances. À condition, bien sûr, que leur constitution respecte la réciprocité du droit de tout peuple à sa souveraineté, librement exprimée.

Ainsi se précise, par le recours à la catégorie d’état-nation et son intégration dans une histoire universelle détournée de la part universelle de l’histoire concrète, l’incapacité d’un certain postmodernisme à comprendre l’idée de souveraineté des peuples au regard de l’alternative politique ouverte par l’économie politique populaire, depuis sa reprise par les canuts lyonnais en révolte dans les années 1830 jusqu’aux réalités les plus contemporaines de l’affrontement avec la réforme capitaliste.