Il était important aussi de porter une attention civique à l’étude de la culture politique française, pendant la décennie révolutionnaire jusqu’à ses héritages républicains, tels que Jean Jaurès les avait initiés à partir tant d’une solide connaissance de la Révolution que de ses engagements politiques. Enfin, il incombait aux universitaires et chercheurs de remplir ce rôle de transmission de savoirs auprès des étudiants, des enseignants du secondaire et du primaire, et d’un large public, toujours soucieux d’une meilleure connaissance sur l’histoire actuelle de notre Grande Révolution et ses résonances dans le monde. Ainsi, ce livre propose une réflexion autour de thèmes majeurs de la Révolution française et des révolutions populaires : l’entrée en Révolution, l’apprentissage de la démocratie, la vitalité démocratique et la question de l’identité nationale.

Comment le peuple entre en révolution ? Comment une révolte populaire se transforme, par son ampleur considérable, en un changement complet de régime au plan non seulement juridique et politique, mais encore économique et social ? Comment s’est opérée dans la France de 1789 la proclamation universaliste de droits naturels de l’homme et du citoyen ?
La participation populaire reste une caractéristique majeure de la Révolution française par rapport à d’autres révolutions de la fin du XVIII°s. en Europe et dans le monde. Les recherches récentes sur les sans-culottes des villes et des campagnes à Marseille ou dans l’arrière pays marseillais, comme à Paris ou ailleurs en France, témoignent de ce questionnement historien et civique sur les apports des revendications populaires à la construction d’un nouvel ordre social et politique.
Si les réseaux sociaux d’aujourd’hui ont joué un rôle majeur pour la mobilisation d’hommes et de femmes et leur occupation de places publiques afin de défendre des idéaux révolutionnaires, donc, démocratiques, d’autres formes d’entrée en politique manifestent la culture politique d’un peuple, à partir notamment de leurs conditions de travail et d’existence. Ainsi, les comportements des ruraux et des citadins ont été présentés dans diverses modalités de leur entrée en politique que ce soit par l’action directe à partir des émotions populaires et des révoltes agraires, ou bien par la répression judiciaire et politique, ou encore par le rôle de certains médiateurs, sinon par la médiation de groupes constitués. Peter Jones analyse le processus de politisation des villageois d’Allan, des luttes anti-seigneuriales à la construction d’une arène politique locale entre 1786 et 1790. Hervé Leuwers met en relation deux notions, justice du peuple et justice de la nation, à partir d’une émeute frumentaire et de la mise en actes du « pouvoir exécutif » populaire. Eric Saunier porte son intérêt sur l’appropriation de l’expérience révolutionnaire par les francs-maçons et l’émergence progressive d’une identité nouvelle à travers le parcours de deux négociants.

L’apprentissage d’une vie politique nouvelle, sans censure et interdit, sans citoyens dits actifs ou passifs, marque la voie révolutionnaire. C’est bien la Révolution qui instaure la liberté de penser, même sur les questions religieuses, et la liberté d’association, même politique. Le principe d’un mandat électif pour toutes les fonctions dans une France nouvelle et complètement réorganisée au plan administratif, comme la création d’un espace public avec le rôle des sociétés politiques, donne une vitalité certaine aux institutions nouvelles et, bientôt, républicaines. Toutefois, les actions contre révolutionnaires comme les réactions politiques, sinon les coups d’Etat, révèlent des clivages dans la société civile, entre tenants d’un ordre ancien et partisans d’un nouveau régime.
C’est à l’acte de vote que s’intéresse Malcolm Crook pour décortiquer l’émission publique d’un vote secret, de l’utilisation du bulletin de vote et sa concurrence avec le vote à haute voix à la nécessité, ou pas, d’une assemblée et d’un isoloir. Valérie Sottocasa souligne la violence des affrontements politico-religieux dans le Midi où cohabitent protestants, juifs et catholiques. A partir des soulèvements septentrionaux de 1792, Laurent Brassart tente de mettre en évidence les aspects contradictoires de la mobilisation populaire. Alessandra Doria valorise les engagements publics d’une femme du peuple à partir du récit de soi que les témoignages judiciaires ou les archives notariées peuvent permettre de dresser.

La vitalité démocratique implique la durée de l’action révolutionnaire. Que ce soit dans l’acte de vote, dans la mobilisation collective, dans l’engagement armé ou dans le militantisme politique, le nouveau cadre institutionnel promu par la Révolution autorise, ou parfois restreint, la vie démocratique. Ces institutions républicaines, si chères à Saint-Just et à d’autres Montagnards en l’an II de la République, montrent alors la plénitude de leur force ainsi que l’importance du rôle des législateurs comme l’engagement civique des individus, libres et égaux en droits sous la République démocratique.
Julien Saint-Roman s’intéresse au monde des travailleurs de l’arsenal de Toulon de 1789 à 1793, à leur intrusion dans la vie politique locale ainsi qu’à leurs revendications spécifiques au sein d’un comité central des ouvriers de l’arsenal. Danièle Pingué analyse la loi du 21 mars 1793 dans le département de la Haute-Saône, à partir de l’enquête nationale qu’elle a dirigée sur les comités de surveillance. Cyril Belmonte se consacre à la lutte des places pendant la décennie révolutionnaire à partir d’une étude précise des citoyens, électeurs et élus, dans les villes et les villages de l’arrière-pays marseillais.

La question de la souveraineté nationale est au cœur des mobilisations collectives pendant la Révolution française. Contre une usurpation de l’identité collective par une minorité de privilégiés, s’appuyant sur l’octroi clérical d’un pouvoir dit de droit divin, l’idée d’une souveraineté- nationale d’abord, populaire ensuite- a été affirmée sur la base d’une reconnaissance des droits naturels de l’homme et du citoyen de 1789 à 1793. L’affirmation, en actes, de la dignité de l’homme et de la femme, est bien une caractéristique essentielle des mouvements révolutionnaires. Au-delà des représentations symboliques, d’Hercule avec sa massue et de la figure de Marianne, qui méritent toujours un intérêt soutenu, les débats parlementaires et les pratiques populaires ont été privilégiés. Car c’est bien un nouvel ordre international que les révolutionnaires imposent, basé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, depuis le vote des Avignonnais pour l’intégration à la France révolutionnaire jusqu’au vote de la Convention en février 1794 pour imposer les principes de 1789 aux colonies, notamment à Saint-Domingue, à savoir l’abolition de l’esclavage du 16 pluviôse an II qui reste une des grandes lois de la « Terreur ».
Au-delà de la question d’une France coloniale et des choix politiques des Législateurs, les processus d’identification nationale restent une question complexe. Comment est-on passé du droit des gens aux droits des nations ? Comment peut-on être révolutionnaire des Deux Mondes ? Comment construire une nation en refusant le nationalisme ? Yannick Bosc, à partir de la figure de Thomas Paine, citoyen anglais, puis américain et français, interroge le sens commun du peuple, la souveraineté populaire et la représentation politique avant de poser la question du peuple à l’échelle du genre humain. Christine Peyrard reprend les revendications du peuple avignonnais dans la presse, dans la rue et dans le vote pour comprendre la formation d’une identité nationale et révolutionnaire. Vittorio Criscuolo s’interroge sur l’identité de ces patriotes italiens qu’on a appelés jacobins en raison de la perspective égalitaire, base de la création d’une nation italienne, lors de l’hégémonie de la Grande Nation. Lluis Roura i Aulinas explore l’impact de la Révolution française sur la construction de la nation en Espagne dans la première moitié du XIXème siècle et, particulièrement, pendant la Guerre d’Indépendance et les Cortès de Cadix, entre d’une part diabolisation de la Révolution française et espagnole et, d’autre part, conscience politique de la souveraineté.

Non seulement « le temps est « venu pour les Français de prêter à nouveau l’oreille aux échos universels de La Marseillaise et de les entendre aussi fortement qu’on les entend dans le reste du monde » comme disait Eric J. Hobsbawn en 2007 dans son livre « Aux armes, historiens », mais encore faut-il étudier l’histoire sociale de la Révolution française, à partir de ses archives, comme les modalités d’expression d’une exigence démocratique ainsi que les fondements d’une construction révolutionnaire nationale et internationale d’une République universelle.