Atelier sur Les héritages des républicanismes et la république comme utopie

Les problématiques du républicanisme, principalement connues par des travaux anglo-saxons, sont peu présentes en France. Les équivalents français de ces recherches en histoire politique et histoire des concepts ou des idées, quant à eux, ne dépassent guère le cercle étroit des spécialistes, au demeurant peu nombreux. Il s'agira dans cet atelier, de poursuivre, d'approfondir et d'élargir la réflexion entamée en 2008 lors du colloque Républicanismes et droits naturels, en se concentrant sur trois points qui sont apparus comme les principaux blocages : d'abord, le fait que la notion de républicanisme est réputée avoir épuisé ses potentialités révolutionnaires et semble désormais, en France, fixée peu ou prou aux valeurs de la IIIe République ; ensuite que le républicanisme est séparée des traditions jusnaturalistes et socialistes ; enfin, que l'approche standard des expériences républicaines tend à les cloisonner dans le temps et dans l'espace.



L'un des objectifs sera donc d'étudier les modalités de cet épuisement des notions de république et de républicanisme, apparemment dévitalisées et figées, la république étant en France essentiellement réduite à un type de gouvernement hostile à la monarchie. A contrario il s'agira d'une part, de réactiver ces notions en restituant à la république le statut de concept d'attente – plus que d'utopie – , tel que le définit Reinhart Koselleck, et, d'autre part, de mettre cette notion de concept d'attente – qui selon Koselleck est généré par la Révolution française – à l'épreuve des traditions républicaines antérieures à 1789. Avec la Révolution française, Koselleck considère en effet que « l'ancien concept global de Res publica, qui avait jusqu'alors inclus toutes les formes de dominations (…) acquiert un caractère d'exclusivité plus étroit mais en relation avec le futur » et « se transforme en concept d'attente ». Koselleck s'appuie sur Kant, selon lequel « l'expression de républicanisme (…) implique le principe du mouvement de l'histoire dont la progression constitue un véritable impératif moral de l'action politique. Quelle que soit aujourd'hui la constitution en vigueur, l'important à long terme est de remplacer la domination de l'homme par l'homme par la domination des lois ; ce qui importe en un mot c'est de réaliser la république. Le républicanisme est donc un concept de mouvement permettant d'actualiser dans le champ d'action politique les promesses contenues dans la notion de progrès pour l'ensemble de l'histoire » (Le futur passé, 1979, trad.1990, p.325).

L'approche standard tend à séparer le républicanisme et le socialisme. Dès lors nous connaissons mal les liens, les transferts ou les ajustements entre les traditions républicaines et le socialisme révolutionnaire qui se développe au XIXe siècle. Dans quelle mesure, par ailleurs, la tradition républicaine intègre-t-elle une dimension socialiste au sens large d'une socialisation d'une partie des biens ou des moyens de production et dès lors que recouvre la notion de propriété ? Ces questions ont un champ d'application très concret puisque récemment, l'opérateur de téléphonie SFR a attaqué en justice le syndicat SUD au motif que, ses statuts renvoyant à l'autogestion socialiste, ils enfreignaient les principes républicains garantissant la propriété. Du socialisme ou de la propriété, qu'est-ce qui est le plus républicain ? Au delà, il s'agit de prendre en considération le républicanisme dans sa dimension critique de l'impérialisme. Suivant le schéma pocockien, l'approche standard oppose le républicanisme et les traditions jusnaturalistes. La première qui serait caractérisée par ses tendances holistes, sacrifiant les intérêts individuels à ceux du groupe, met en avant la vertu, le civisme. La seconde au contraire, qui fonde le libéralisme, serait construite sur l' individualisme et le droit, et donc incompatible avec les contraintes de la vertu. Les recherches actuelles sur le républicanisme dans l'Angleterre du XVIIe siècle, la France du XVIIIe siècle et la Révolution française, montrent qu'un tel schéma sur lequel se fonde l'opposition de la liberté des modernes et des anciens (Benjamin Constant) est intenable et doit être reconsidéré. Le simple intitulé de la Déclaration des droits de l'homme ET du citoyen nous invite à penser ensemble la vertu et le droit. On notera que Pettit et Skinner qui pourtant caractérisent le républicanisme par liberté comme non domination éludent également le droit naturel moderne.

Enfin, le cloisonnement dans le temps et dans l'espace des expériences républicaines et jusnaturalistes, sont un frein à l'étude des dynamiques, des circulations des catégories et des expériences, des déplacements et des traductions. Il y aurait par exemple, au XVIIIe siècle, un modèle nord américain et un modèle français qui seraient incompatibles (Habermas). L'émergence des problématiques du droit naturel au XIIe siècle (voir Brian Tierney et la présentation de son livre) – et l'Ecole de Salamanque au XVIe siècle– est découplée de la synthèse Lockienne à la fin du XVIIe siècle anglais, elle-même considérée comme étrangère à la tradition républicaine. Aux cloisonnements des traditions nationales s'ajoutent ceux des disciplines académiques.

Considérer les héritages des républicanismes consiste donc en un réexamen de la théorie standard, à partir duquel seront envisagées de nouvelles pistes de réflexions fondées sur les croisements de ce qui est habituellement séparé, tant en ce qui concerne les champs disciplinaires que les problématiques. Il s'agira donc de considérer les liens avec les autres traditions politiques construites sur le principe de liberté et de confronter les expériences dans le temps et dans l'espace.

Les organisateurs : Yannick Bosc, Remi Dalisson, Jean-Numa Ducange, Christopher Hamel, Carine Lounissi
Contact : yannick.bosc AT univ-rouen.fr
Les propositions d’intervention peuvent être envoyées jusqu’au 30 juin 2010.